mardi 23 octobre 2012

hyperréalisme, abstraction, ou étincelle... Giulio-Enrico Pisani


Giulio-Enrico Pisani
  Zeitung vum Lëtzebuerger Vollek Luxembourg, 20.10.2012

Gerd Marx : hyperréalisme, abstraction, ou
étincelle qui jaillit, là où les extrêmes se touchent ?

L’année 1952, qui vit la naissance de l’architecte d’intérieur et artiste photographe Gerd Marx, fut un millésime significatif pour les deux disciplines qui marqueront son existence: la photographie et l’architecture d’intérieur.  Ce fut en effet cette année là, que Charles-Édouard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier, acheva la Cité radieuse de Marseille, réalisa à Chandigarh (Inde) la Haute Cour et le Musée, puis, à Roquebrune-Cap-Martin (PACA), son fameux «Cabanon», une recherche sur l’habitat minimum, véritable sommet de l’architecture d’intérieur de l’époque.  Gerd Marx soupçonna-t-il l’existence de ce prestigieux parrainage?  Je n’en sais rien, mais le fait est que, après l’école et le bac, il se lança dans l’étude de la conception et du design en architecture d’intérieur.  Et cette discipline riche de nombreux arts ne fut pas la seule révélation du charme qu’une fée, ou muse, déposa dans son berceau en 1952, mais aussi celle de tous ces autres arts qui la constituent.  Je pense, entre autres, à l’architecture, à la décoration, à la peinture et, last but not least, à la photographie, passion qui prit possession de lui dès l’âge de huit ans.

Aussi libre que peut l’être un enfant par l’épanouissement de sa curiosité et un adolescent dans sa soif d’exploration, il découvrit grâce à la photographie, avec ses appareils box 6x6, puis Rolleiflex 6x6, Minolta reflex et autres Canon, tout un monde imagé, dont il parvenait à s’approprier des aspects insoupçonnés.  Il fut certes obligé, une fois adulte, donc face aux exigences de la vie, de limiter grandement sa créativité aux exigences de sa profession d’architecte d’intérieur.  Mais le genre de photo qu’exigeait celle-ci, pratiquée avec une Mamiya 645 format 4,5x6 à objectifs interchangeables (shift pour la photo d’architecture), ne chassa chez lui jamais tout à fait la photo violon d’Ingres, la photographie tous azimuts, la photo passion.  Pleinement retrouver sa magie à la fin de sa carrière professionnelle, ne donna par conséquent aucun mal au désormais jeune retraité Gerd Marx (je doute d’ailleurs qu’il ne l’eût jamais perdue) un demi siècle plus tard.  La faire triompher aux cimaises de la Galerie Michel Miltgen,[1] à l’occasion de sa première exposition photographique «libre» se fit du même élan.

Oui, libre!  Défi réussi; n’eût-on pas, en effet, pu s’attendre à ce que Gerd Marx profite et nous fasse profiter de sa longue expérience de la photo architecturale, des jeux d’angles et de lignes droites ou courbes, de perspectives, espaces, vides et volumes qu’il contribue à créer et à aménager et dont il maîtrise les harmonies depuis quatre décades?  Mais non, loin de se flatter de l’acquis, le libre artiste, qu’il est certain d’être, sait devoir se mettre en danger et, afin de retrouver les élans de sa prime jeunesse, devoir accepter les questionnements, risques et incertitudes de l’art.  Aussi, est-ce en artiste débutant, pour ainsi dire en jeune créateur, que ce sexagénaire nous convie à sa première exposition, où il s’expose du même coup à une critique dont il sait bien que l’approbation, voire l’indulgence, qu’elle soit des experts, des critiques d’art, des amateurs éclairés, ou de simples curieux, n’est jamais acquise.

Il m’est évidemment impossible de présumer de l’accueil que feront les médias, les visiteurs et d’éventuels acheteurs à ses splendides macrophotographies grand format de structures aussi fascinantes qu’ignorées par l’oeil ordinaire de ces êtres pressés et observateurs superficiels que nous sommes presque tous.  Combien parmi nous s’arrêtent-ils en effet pour admirer un clou rouillé, un morceau de bois pourri, une chaîne qui n’enchaîne plus que sa propre usure?  Et qui songerait à admirer une structure mal couverte de peinture écaillée pour découvrir dans la quasi-abstraction de cet étrange maculage – je pense à «Close-up 1» – une mer démontée, où un vortex, tornade ou terrible maelström risque d’engloutir un archipel en perdition?  Quant au clou de l’exposition, amis lecteurs, eh bien, c’est à première vue un vrai clou, en allemand «Nagel», aussi titre de l’oeuvre, quoique, la dépouille de cheville qui en coiffe la pointe comme une sorte de préservatif dont on aurait abusé, me fasse plutôt songer à une vis.  Mais, quelle importance!?  La beauté cruelle, pour ainsi dire minérale, de cette composition sculptée, ravinée et décapée par le vent, le soleil, le chaud, le froid et les embruns salins, en un mot, par les forces la nature qui, avec le temps, finissent toujours par vaincre l’oeuvre des hommes, cette beauté donc, saisie par Gerd Marx, est extraordinaire.

Hyperréalisme?  Sans doute, le terme est amplement justifié.  Il arrive cependant que les extrêmes se frôlent, se touchent même.  Aussi, les créations de Gerd Marx s’éloignent à tel point d’une vision, disons, normale, qu’en n’y regardant pas de trop près, donc au premier coup d’oeil, certaines de ses photographies donnent l’impression d’être abstraites.  Il en résulte des tableaux d’une beauté à couper le souffle et qui mériteraient d’être exposés dans tout musée d’art contemporain qui se respecte.  À ne pas rater!     



[1]  Galerie d’Art Michel Miltgen, 32 rue Beaumont, Luxembourg centre, ouvert mardi à vendredi 10-12,30 h & 14-18 h / samedi 9,30-12,30 h & 14-18 h.- Expo jusqu’au 8 novembre

dimanche 21 octobre 2012

William Cliff

Photo Jalel El Gharbi


l’auteur de la Recherche en ces années m’a révélé
que notre intime vérité c’est la littérature
Du côté de chez…. c’est-à-dire où le voile est levé
sur ce qui toujours est couvert de commune imposture

et qu’on ne vienne pas me parler de « science humaine »
et dégrader à des concepts le chant ou la douleur
qui fut le lot de notre enfance et dont la trace hautaine
continuera à nous tenir jusqu’à la dernière heure…

près du collège se trouvait un château à tourelles
hissé sur un piton rocheux qui dominait la Meuse
quand j’allais là me promener et remuer mes rêves

j’étais comme un second René dont l’âme ténébreuse
se perdait à travers pareil château ou vers des landes
mouvantes pour y prendre le poison de ses tourmentes
William Cliff

samedi 20 octobre 2012

تطهير assainissement ou purge


تطهير Ce mot n'est pas à traduire par "assainissement", mais plutôt par "épuration", "purge". Le concept est par définition antirévolutionnaire. Historiquement, il apparaît au moment où le fascisme emprunte à la révolution ses mots et sa rhétorique. C'est ainsi que ce ramassis d'obscurantistes, d'opportunistes et de spadassins se font appeler "ligue" comme La ligue tunisienne des droits de l'homme ! En Tunisie, ces ligues de protection de la révolution, formées de personnes qui n'ont pas pris part à la révolution, sont une menace pour notre pays. Ces ligues ont commencé cette lâche besogne d'épuration à Tatouine où un homme a été lynché, pour reprendre le mot employé par le président de la République même. Exigeons la dissolution de ce qui ressemble bien à une milice. Seuls les réalisations peuvent protéger une révolution. Et s'il faut absolument une structure pour protéger la révolution, que ce soit l'armée, force républicaine, qui a bien assumé ce rôle avant le 14 janvier. 



mercredi 17 octobre 2012

Chez Maurice Carême

Bureau de Maurice Carême à Anderlecht.
Ci-dessous la cuisine que fleurissent des physalis et un poème de Maurice Carême.  



La cuisine 



La cuisine est si calme
En ce matin d’avril
Qu’un reste de grésil
Rend plus dominical.

Le printemps, accoudé
Aux vitres, rit de voir
Son reflet dans l’armoire
Soigneusement cirée.

Les chaises se sont tues.
La table se rendort
Sous le poids des laitues
Encor lourdes d’aurore

Et à peine entend-on,
Horloge familière,
L’humble cœur de ma mère
Qui bat dans la maison.

(Maurice Carême, Mère, 1935)

mardi 16 octobre 2012

lundi 15 octobre 2012

Karoly Lotz painter


Le nu de la minute 2.02 est une pure merveille.

vendredi 5 octobre 2012

Eugène Fromentin : Les Maîtres d'autrefois


Bruxelles, 6 juillet 1875.

Je viens voir Rubens et Rembrandt chez eux, et pareillement l’école hollandaise dans son cadre, toujours le même, de vie agricole, maritime, de dunes, de pâturages, de grands nuages, de minces horizons. Il y a là deux arts distincts, très complets, très indépendants l’un de l’autre, très brillants, qui demanderaient à être étudiés à la fois par un historien, par un penseur et par un peintre. De ces trois hommes, qu’il faudrait pour bien faire réunir en un seul, je n’ai rien de commun avec les deux premiers ; quant au peintre, on cesse d’en être un, pour peu qu’on ait le sentiment des distances, en approchant le plus ignoré parmi les maîtres de ces pays privilégiés.
Je vais traverser des musées, et je n’en ferai pas la revue. Je m’arrêterai devant certains hommes ; je ne raconterai pas leur vie et ne cataloguerai pas leurs œuvres, même celles que leurs compatriotes ont conservées. Je définirai, tout juste comme je les entends, autant que je puis les saisir, quelques côtés physionomiques de leur génie ou de leur talent. Je n’aborderai point de trop grosses questions; j’éviterai les profondeurs, les trous noirs. L’art de peindre n’est que l’art d’exprimer l’invisible par le visible; petites ou grandes, ses voies sont semées de problèmes qu’il est permis de sonder pour soi comme des vérités, mais qu’il est bon de laisser dans leur nuit comme des mystères. Je dirai seulement, devant quelques tableaux, les surprises, les plaisirs, les étonnements, et non moins précisément les dépits qu’ils m’auront causés. En cela, je ne ferai que traduire avec sincérité les sensations sans conséquence d’un pur dilettante. 
Il n’y aura, je vous en avertis, ni méthode aucune, ni marche suivie dans ces études. Vous y trouverez beaucoup de lacunes, des préférences et des omissions, sans que ce manque d’équilibre préjuge rien de l’importance ou de la valeur des œuvres dont je n’aurais pas parlé. Je me souviendrai quelquefois du Louvre et ne craindrai pas de vous y ramener, afin que les exemples soient plus près de vous et les vérifications plus faciles. Il est possible que certaines de mes opinions jurent avec les opinions reçues; je ne cherche pas, mais je ne fuirai point les révisions d’idées qui naîtraient de ces désaccords...

dimanche 30 septembre 2012

Poème d'Athanase Vantechev de Thracy en français, en albanais, en anglais et en tamazight

Puvis de Chavannes : Le Rêve.


TANT DE SILENCE ALENTOURS

À Ali Prodrimja

Où vont les gens que j’aime
Vêtus de robes rouges
Dans le haut crépuscule du soir ?

Où mène-t-il, le vent cuivré de l’automne,
Les voix glorieuses des mésanges ?

Seuls restent ici,
Emplies de soleil frais,
Les voluptueuses grappes de raisin
Et mon enfance heureuse
Assise à la fenêtre
Ouverte sur l’infini.

Dis-moi, Ali Prodrimja,
Dis-moi, ami solitaire des ruisseaux,
Frère des montagnes de Rugova,
Où emmènent-elles, les cavales du temps pressé,
Les corps que mes mains
Ont si longtemps habillés
De lumière !

Athanase Vantchev de Thracy

Paris, le 18 août 2012

Glose :
Ali Prodrimja (1942-2012) : un des plus grands poètes de langue albanaise. Il est né à Kosovo et mort en France.

Rugova : chaîne de montagnes entièrement située à l’intérieur de Kosovo, longue de quelque 20 km.

ENGLISH :


So Much Silence Around

To Ali Prodrimja

Where do they go, the people I love
Dressed in red robes
At the height of the evening twilight?

Where do they lead, the coppery autumn wind,
The glorious voices of the blue tits?

All that remains here,
Filled with fresh sunlight,
Are the voluptuous clusters of grapes
And my happy childhood
When I sat by the window
Which opened onto infinity.

Tell me, Ali Prodrimja,
Tell me, solitary friend of rushing waters,
Brother of the mountains of Rugova,
Where do they take us, the mares of hurrying time,
The bodies that my hands
Have so long dressed
In light!

Translated from the French of Athanase Vantchev de Thracy by Norton Hodges
August 2012



ALBANAIS :
KAQ HESHTJE RRETH E RROTULL



Ali Prodrimes


Ku venë njerëzit që dua
veshur me të kuqe
Në muzgun e artë të mbrëmjes ?


Ku e shpie era e bakërt e vjeshtës,

Këngën e lavdishme të trishtit ?


Mbeten këtu
Mbushur me diell te freskët
Vetëm kokrat joshëse të rrushit
Dhe fëminia ime e lumtur
Ulur te dritarja
Hapur drejt pafundësisë.


Më thuaj, Ali Prodrimja,
Më thuaj, mik i vetmuar i përrenjve,
Vëlla i maleve të Rugovës,
Ku i çojnë kuajt e kohës,
trupat që duart e mia
kaq gjatë i kanë veshur
Me dritë !

Athanase Vantchev de Thracy

Traduit du français en albanais par la poétesse Bessa Myftiu

TAMAZIGHT  (BERBERE)
mchta n ususm g idgharn
I Ali Prodrimja
Mani ghr eddan medden enna righ
Insan iaaban izgwaghn
G taghzi n tberbixt n tadgwat
mani ghr ittawy uzwu awragh n amwan
asmummy abaraz n tjdad n tyuggawine ?

xs nitnti ayd iqqiman da
Aamrant s tafukt tasmmat
Iskkun n wadil
tmzi nu ighudane
iqqimn g tattaqt
irzmen ghif awarsmur

ini yi Ali Prodrimja
ini yi amddakwl uzzif n ighzran
Gmas n idurar n Rugova
Mani ghr ettawy tazzla n uzmez izerbn
…..enna snsan ifassn inu mchta d mchta
s assid!

Athanase Vantchev de Thracy
Paris, ass n 18 août 2012

vendredi 28 septembre 2012

En lisant Eugène Fromentin

Eugène Fromentin : La chasse au faucon en Algérie ; la curée

L'explicit d'Un Eté dans le Sahara, récit de voyage d'Eugène Fromentin publié en 1857, est poignant. Le voici : 
"N'importe, il y a dans ce pays je ne sais quoi d'incomparable qui me le fait chérir. 
Je pense avec effroi qu'il faudra bientôt regagner le Nord ; et le jour où je sortirai de la porte de l'Est pour n'y plus rentrer jamais, je me retournerai amèrement du côté de cette étrange ville, et je saluerai d'un regret profond cet horizon menaçant, si désolé et qu'on a si justement nommé - Pays de la soif.

samedi 22 septembre 2012

Une romancière qatari en français


La semaine prochaine paraîtra ma traduction du roman de Dalal Khalifa "La Fable du lac" aux éditions Aden dans sa collection Lettres du Monde.

Voici la quatrième couverture ;

Peut-on réellement rester soi-même quand l’image renvoyée par les eaux du lac nous révèle notre véritable personnalité et nous laisse entrevoir un destin auquel on n’aurait pu rêver ?
L’amitié qui unit le flamboyant Mokhtar au raisonnable Amir sera-t-elle assez solide pour résister aux dangers de l’attrait du pouvoir ?
Le lac peut-il se tromper, ses révélations peuvent-elles altérer notre personnalité ? Peut-on rester juste quand on emprisonne les murmures de sa conscience et que l’on préfère ignorer les souffrances d’autrui ?
C’est tout l’enjeu de cette fable, relatée minutieusement par Dalal Khalifa, où se mêlent amour, amitié, trahison, meurtre, misère, fidélité, révolte, espoir et désespoir, ambition et humanité.


Dalal Khalifa est professeur d’anglais. Elle vit et travaille au Qatar. Elle a déjà publié plusieurs romans et nouvelles en langue arabe. La Fable du lac est son premier roman traduit en français.

aden 
La Fable du lac 
Dalal Khalifa
Editions Aden
LETTRES DU MONDE 
ISBN 978-1-909226-44-9

vendredi 21 septembre 2012

«Habbaytak bi sayf» (Fairuz), interprété par Amrie Saurel

« Femme enfant, Femme fleur, regard vif tendre et attentif, mobilisée à l’autre, Amrie dit avec force douceur et Beauté sa quête d’Espoir, de Tolérance, de Paix, d’Amour et de Vie.
Née dans la singularité de son origine, dans un curieux mélange de pudeur retenue et d’extériorité suggérée doucement persuasive et fortement convaincue, elle dit avec passion son choix de vivre deux cultures.
Sur l’aile de la colombe, messagère de Paix Universelle, elle aborde sans crainte toutes les rives de la Méditerranée hérissées des fracas des Hommes.
Sœur de Tous, elle exprime le juste et le bon ; elle magnifie la pureté des cœurs d’enfants, sa confiance en l’humain, sa foi dans la loi juste… celle du créateur.
Empreinte de spiritualité, subtilement mystique, Amrie est aussi pleinement femme et chante l’amour charnel, réminiscence du paradis perdu qu’elle invite à retrouver !
Avec ravissement elle s’exprime en langue arabe ; polyglotte dans ses créations et son tour de chant, nourrie de la Méditerranée-Mémoire, inspirée par son mentor Mabrouk ABDENBI guide de ses premiers pas, elle chante la fusion, la communion, le partage, l’élévation de l’esprit de l’Homme.
Terrestre et éthérée, charnelle et spirituelle, française et arabisante, méditerranéenne, elle appelle au Renouveau possible !
Trait-d’union entre l’Occident judéo-chrétien et le monde arabo-musulman, elle prône la réconciliation et, par un retour à la source matricielle de Mare Nostrum, à partir du socle judéo-chrétien enrichi par le siècle des lumières, elle ouvre la voie progressiste et moderne vers une civilisation islamo-chrétienne.
En partageant son écriture, sa musique, ses interprétations et son atmosphère, vous rejoindrez les constructeurs éclairés de la Méditerranée nouvelle. »

Jacques LLORCA

lundi 17 septembre 2012

Le mur de l'ambassade et les failles du pouvoir

Babelmed vient de publier mon article sur les derniers évènements à Tunis. Cliquez sur le lien ci-dessous :
Le mur de l'ambassade et les failles du pouvoir

Poème de l'imam Chafi'i


سأضرب في طول البلاد وعرضها ... أنال مرادي أو أموت غريبـا

فإن تلفت نفسي فلله درهــــا ... وإن سلمت كان الرجوع قريبا
Je parcourrai la terre de long en large
J'atteindrai mon but ou je mourrai étranger
Si je péris, gloire à mon âme !
Mais si j'ai la vie sauve, mon retour sera proche
Traduction Jalel El Gharbi

samedi 8 septembre 2012

Dihya, La Kahina : un appel à la femme maghrébine. Giulio-Enrico Pisani


Giulio-Enrico Pisani
Luxembourg 8.9.2012
Zeitung vum Lëtzebuerger  Vollek


Que je considère Gisèle Halimi,[1] l’avocate franco-tunisienne des causes justes, militante féministe et indépendantiste (notamment en Tunisie et en Algérie) comme une amie, du moins de manière livresque, admirative et unilatérale, est bien sûr une vue de l’esprit, de mon esprit.  Par contre, elle fut bien réellement proche de Simone de Beauvoir, avec qui elle écrivit le l’ouvrage Djamila Boupacha sur la manière scandaleuse sadique et cruelle dont l’armée et le gouvernement français Debré traitèrent cette militante du FNL algérien.  Mais Gisèle Halimi fut aussi proche d’un grand nombre de personnages engagés comme Picasso, Sartre, Aragon, Elsa Triolet, Gabriel Marcel, la résistante et militante des droits de l’homme Geneviève de Gaulle, l’ethnologue et résistante Germaine Tillon ou Simone Veil, pour ne citer que ceux-là.  Ce ne fut cependant qu’en 2002 que je lus l’un des ses livres: Avocate irrespectueuse, bouleversant ouvrage qui résume un demi siècle de combats juridiques allant de la défense d’un voleur de pommes de terre aux grandes causes politiques au Congo, en Tunisie, en Algérie et en France.  Bon, j’en reste là, car rien que l’énumération de tous ses combats occuperait un livre entier, que j’aimerais entreprendre un jour, si quelqu’un de plus jeune et compétent ne le fait pas avant moi.

Aujourd’hui je me contenterai d’écrire non pas vraiment dans le cadre, mais plutôt dans l’esprit de ma propre militance – oh, combien modeste – pour la liberté et la démocratie du peuple tunisien en général et de la femme tunisienne en particulier, ce qui revient somme toute au même.  Je rejoins en effet Aragon, quand il affirme que «l’avenir de l’homme est la femme».  Aussi est-ce en cherchant les racines de la femme tunisienne et en étudiant l’histoire et le génie de ce peuple qui ne forma longtemps qu’un avec ses cousins d’Algérie nord-orientale, sous le nom d’Imazighen,[2] (ou Numides, ou Berbères), je tombai sur le nom de Kahina.  Et c’est en tachant d’en savoir plus sur ce personnage aussi mystérieux qu’exceptionnel que je découvris – donc récemment – la biographie romancée de Kahina, publiée en 2006 chez Plon [3] par mon «amie livresque» Gisèle Halimi.

 

La Kahina, ou Kahena, ou Daya Ult Yenfaq Tajrawt ou Dihya de son vrai nom, s’inscrit dans la droite ligne de ses ancêtres amazigh, qui luttèrent quinze siècles durant pour sauvegarder leur indépendance contre les Phéniciens d’Utique, puis contre ceux de Carthage, puis contre Rome, puis contre les Vandales, puis contre Byzance et enfin contre les armées Arabes d’Oqba Ibn Nafii et de Hassan Ibn Numan durant le troisième tiers du 7ème siècle.  Quelques-uns parmi les plus célèbres de ces chefs de résistance furent Massinissa,[4] le premier roi de la Numidie unifiée, Jugurtha, dont le combat contre Rome fut brillamment conté par Salluste dans La guerre de Jugurtha, puis Tacfarinas, Antalas et, au 7ème siècle contre l’invasion arabe, Kocéila (Kusayla) et enfin la Kahina.

Gisèle Halimi ne pouvait guère baser son livre sur des sources historiques fiables et objectives, mais dut se contenter essentiellement de textes arabes ou de provenance arabe,[5] ainsi que des traditions – d’origine surtout orale – berbères.  Dihya, appelée Kahena ou Kahina, prêtresse ou devineresse en arabe, est donc une reine guerrière massyle, chaouis-zénète des Aurès de la tribu des Djerawa,[6] qui combattit les Arabes Omeyyades lors de l'expansion islamique en Afrique du Nord vers la fin du VIIe siècle.  L’auteure nous présente d’emblée une jeune femme hors du commun, volontaire et ne se pliant aux traditions qu’après les avoir pesées et approuvées.  Fille de Thabet, chef des Djerawa, elle succède à son père et, après sa mort, épouse Kocéila, le roi des Zénètes, qui tente de constituer un premier grand rassemblement de tribus berbères contre l’envahisseur arabe.  Battu par le général Oqba Ibn Naafi et amené en captivité, Kocéila se convertit par opportunisme à l’islam, puis s’évade, retrouve Dihya, réunit une nouvelle coalition de tribus, s’allie aux Byzantins et écrase près de Biskra l’armée d’Okba, qui y perd la vie.  L’armée berbèro-byzantine victorieuse conquiert Kairouan (Tunisie) en 683 et l’occupe pendant plusieurs années.  Mais les Arabes ne pouvaient abandonner Kairouan, aussi finirent-ils par revenir en force.  Koceila fut tué et les Imazighen qui avaient échappé au massacre se dispersèrent.

C’est alors que la Kahina, qui a combattu aux côtés de son homme, reprend son flambeau, fait une entrée fracassante sur la scène de l’histoire maghrébine et... de la longue kyrielle des femmes pugnaces dont furent les Déborah, Didon, Zénobie, ou Cléopâtre.  En 686, à la mort de Kocéila, elle se fait élire reine (ou chef de guerre) par les Zénètes, mais aussi par nombre des tribus berbères de l’Aurès, de la côte et du désert, parvenant à réunir les nomades et les sédentaires.  Forte de ce grand rassemblement, elle mène une guerre impitoyable contre l’envahisseur qu’elle battra à plusieurs reprises avant de devoir se retirer dans l’Aurès.  Et la suite?  Eh bien la suite est à découvrir par le lecteur dans le livre, car il n’est pas question que je le prive du suspense qui l’entraînera de la première à la dernière page à travers cette incroyable épopée.  En effet, au-delà de son intérêt historique, l’ouvrage est romanesque à souhait et relate une aventure passionnante de bout en bout, où l’on sent que l’auteure pénètre à fond un personnage auquel elle s’identifie d’autant plus aisément que sa naissance et son combat lui sont viscéralement proches.

Par exemple, à son prisonnier «préféré», son amant Khaled, le neveu de son ennemi, le général arabe Hassan Ibn Numan, la Kahina, qui sait appeler un chat un chat, cloue le bec, lorsqu’il lui vante la guerre sainte, la noblesse du Djihad: «Ne me ressors pas une fois de plus ce conte vertueux (...) Ce que vous voulez, c’est conquérir, occuper, prendre les terres et les biens… votre djihad n’est qu’une guerre de colonisation, Khaled, et vous avez besoin d’un dieu comme alibi!»  Certes, le terme «guerre de colonisation» peut paraître anachronique exprimé au 7ème siècle, mais c’est bien une écrivaine – ici romancière – du 21ème siècle qui s’adresse à nous, ses contemporains.  Qui lui en fera le reproche?  Certainement pas moi!  Et à bon entendeur salafiste et wahhabite pétrodollarisé salut!  De toute manière, dans le couple quasi-fusionnel faisant fi des siècles qu’est le duo Gisèle-Dihya, l’une est nécessairement un peu le reflet, l’ombre, la renaissance mystique de l’autre.
Et combien cela est vrai, la journaliste et anthropologue Hinde Taarji l’évoqua avec une grande sensibilité dans le magazine «La Vie éco» du 23.2.2007 en mettant en parallèle la naissance de Gisèle Halimi avec celle de Dihya/Kahena : «... la déception était si amère que son père cacha la nouvelle à son entourage pendant trois semaines. À ceux qui s'enquéraient de la venue du bébé, il s'obstinait à répondre qu'on l'attendait toujours. Pourtant, dans son berceau, celle qui deviendra l'une des grandes figures du féminisme de notre temps coulait déjà ses premiers jours. C'est ainsi que Gisèle Halimi fit son entrée dans la vie, dédaignée par un père à qui elle avait fait l'affront de naître. Pour le juif berbère qu'il était, la naissance d'une fille représentait une catastrophe (...) Des siècles auparavant, la femme qui symbolisa la résistance berbère à l'envahisseur arabe connut le même départ dans la vie...»  Si l’on ajoute à ma brève présentation le fait que ce roman est un véritable hymne à la tolérance religieuse du peuple berbère, dont les tribus vécurent jusqu’à la fin du 7ème siècle sans problèmes majeurs leurs différentes confessions (animiste, catholique, orthodoxe, arienne ou juive), il ne vous reste plus qu’à le découvrir, amis lecteurs, et ça, c’est votre privilège.







[1]  Gisèle Halimi, née Zeiza Gisèle Élise Taïeb en 1927 à La Goulette (Tunisie), est une avocate, militante féministe et politique franco-tunisienne; elle entre au barreau de Tunis en 1949 et poursuit sa carrière d'avocate à Paris en 1956. Élue à l’Assemblée nationale de 81 à 84, elle y dénonce la misogynie politique. (extr. Wikipedia)
[2]  Les Imazighen (pluriel d’Amazigh) furent appelés Numides par les romains et Berbères par les hellénophones. Le terme Kabyle semble être tardif et désigne aujourd’hui, avec +/- 7 millions de locuteurs surtout en Algérie nord-orientale, le deuxième plus grand groupe berbérophone du Maghreb, le premier groupe (+/- 8 millions) étant constitué par les Chleuhs du Maroc. Mais on trouve des régions villages au parler berbère un peu partout en Afrique du Nord, de la Maurétanie à l’Égypte en passant par la Libye (~10% de berbérophones).

[3]  Édition originale épuisée, cependant encore disponible aux éditions Pocket (~285 p.) de Plon.

[4]  Pragmatiques, ils surent aussi s’allier durant des périodes plus ou moins longues à leurs adversaires.

[5]  Notamment l’Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale d’Ibn Khaldoun, historien, philosophe, écrivain, homme politique et diplomate tunisien d’origine arabe (1332-1406), lui-même tributaire de sources fatalement peu objectives.

[6]  L’Aurès est un vaste territoire montagneux au nord-est de l'Algérie, dans lequel vit majoritairement le groupe berbérophone des Chaouis.  Du point de vue géographique et historico-ethnique il s’étend également sur une large part du nord-ouest tunisien.





vendredi 7 septembre 2012

Amalia Rodrigues _ Canzone per te _ 1970


La solitudine che tu mi hai regalato
io la coltivo come un fiore

mercredi 5 septembre 2012

Biennale internationale de poésie de Liège



La XXVIIème biennale internationale de poésie, un des plus grands rendez-vous poétiques du monde, se tiendra à Liège (Belgique) du 10 au 13 octobre 2012.
La session de cette année sera présidée par Dany Laferrière, poète et scénariste haïtien et s’articulera autour de la question suivante : «La poésie doit-elle être résolument moderne?»
Pour s’inscrire : www.mipah.be

dimanche 2 septembre 2012

vendredi 31 août 2012

Place aux Foins


C'était place aux Foins dans mon rêve
La libraire me montrait un manuscrit illisible
Je n'ai pas baissé les yeux, il n'y avait plus aucun ailleurs
- Ni à travers la fenêtre ni du côté des bibelots -
J'ai vu la naissance des seins et leur albâtre
Je n'ai pas baissé les yeux
Tant ils doivent ressembler à ceux de l'amour
J'étais si près d'Elle, si près de sa robe bleue
C'était à Saint-Pétersbourg où je n'ai jamais été

Jalel El Gharbi

samedi 25 août 2012

Des salafistes encore !

En 1810 déjà, Mohamed Ibn Abdelwaheb - fondateur de l'hérésie wahabite- écrivit une lettre arrogante à Hammouda Pacha, bey de Tunis. Le Bey transmit la lettre aux savants de la Zeitouna. Ils y eut deux réponses : un ouvrage de Cheikh Temimi, aujourd'hui introuvable à Tunis !!! dont je traduirais le titre ainsi : De la grâce divine dans la réfutation des dévoiements wahabites.
Il y eut également une lettre magistrale, celle de Abu Al Fadhel Kacem Mahjoub.
La lettre du wahabite et celle du savant tunisien se trouvent dans l'ouvrage du grand historien tunisien Ibn Abi Dhiaf (1804-1874). Le commentaire donné par l'historien est magistral.
Le tout est sur dailymotion. Prenez le temps d'apprécier.
http://www.dailymotion.com/video/xlvcv5_yyyyy-yyyyy-yyyy-yyy-yyyyy-yyyyyyy_webcam

En lisant le Décaméron

"Faites que je puisse me vanter, dans l'autre monde, d'avoir été aimé dans celui-ci de la plus belle femme qui soit sortie des mains de la nature."

mercredi 22 août 2012

La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis


La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis est le tout nouveau roman de Francis Dannemark "Une histoire d'amour, d'amitié et de cinéma en 500 pages" aux éditions Robert Laffont. 
Sortie en librairie : demain
Voici un extrait de ce roman :
Chapitre 3 

Comment Archibald l’a sauvée


  Jean-François arriva un peu avant sept heures. Il avait enfilé des bottes de caoutchouc pour faire le quart d’heure à pied qui séparait son appartement de la maison et s’en débarrassa dans le hall d’entrée. En compagnie de Max, qui avait fini de préparer la table pour le dîner, il alla se poser dans un des divans du salon. Il avait été aménagé pour qu’une dizaine de personnes, en se serrant un peu, puissent ne rien perdre des images défilant sur l’écran de belle taille que Jean-François avait installé dans un coin de la pièce. Max n’avait pas tiré les rideaux. Il regardait tomber la neige avant de reporter son regard vers les flammes qui dansaient dans la cheminée. Jean-François lui dit qu’il devrait songer à faire un trou dans son pull à hauteur du coude droit.
  – Ah bon ? Ça porte bonheur ?
  – Peut-être, oui. Mais surtout, ça irait parfaitement avec le trou que tu as déjà au coude gauche…
  Max ne se donna pas la peine de vérifier. Jean-François avait raison ; d’ailleurs, lui avoua-t-il, Judith lui avait fait la remarque la veille.
  – Je sais que tu ne reçois plus de nouveaux patients, dit Jean-François, et que les rares que tu vois encore te connaissent et ne vont pas se formaliser, n’empêche, tu devrais faire un peu attention.
  Max acquiesça d’un mouvement de la tête.
  – C’est curieux que tu dises ça aujourd’hui, ajouta-t-il avec un demi-sourire. J’ai reçu quelqu’un de nouveau cet après-midi.
  – Grande nouvelle. Comment cela se fait-il ?
  – Je n’ai pas eu vraiment le choix. C’est un service qu’on m’a demandé. L’ami de l’amie du collègue… 

  La phrase fut interrompue par la sonnerie qui annonçait une arrivée. Jean-François se leva pour aller ouvrir. Max l’entendit qui commentait la météo avec Marie-Louise. Elle avait soixante-quatorze ans et elle était ravie  d’être la doyenne du club. Quatre ans plus tôt, elle avait perdu son mari, terrassé par un infarctus alors qu’il faisait sa séance quotidienne de course à pied dans les allées du parc. Kinésithérapeute, il s’était très tôt spécialisé avec passion dans le domaine sportif. Marie-Louise, infirmière de formation, était devenue son assistante et avait assuré son secrétariat. Arrivé à l’âge de la retraite, il était resté très actif, partageant son temps entre quelques clubs de sport qui réclamaient ses conseils. Marie-Louise s’était dit que mourir en pleine course, près de ces arbres qu’il aimait tant, et sans avoir à connaître la moindre déchéance physique, était la plus belle sortie pour lui. Mais cette certitude, partagée par ses deux fils, ses deux filles et ses nombreux petits-enfants, ne l’avait pas protégée entièrement du chagrin. Certains soirs, à l’improviste, il faisait de la ronde et dynamique Marie-Louise une femme à qui la mélancolie tenait compagnie d’un peu trop près. Jean-François, qui habitait un appartement à deux pas du sien, la connaissait depuis longtemps. Il avait consulté son mari plusieurs fois après s’être fait mal en jouant au tennis et il était au courant de son décès. S’étant mis à bavarder dans la file d’attente de la boucherie qu’ils fréquentaient tous les deux, Jean-François et Marie-Louise avaient poursuivi en prenant un thé au Pain Quotidien. Marie-Louise lui avait confié presque à l’oreille, fort gênée mais très amusée aussi, qu’elle n’avait jamais vraiment aimé le monde du sport.
  – Vous n’imaginez pas l’odeur, lui avait-elle dit. Même les femmes. Même les enfants. Sauf les Asiatiques, je me suis toujours demandé pourquoi.
  – La nourriture, sans doute, avait suggéré Jean-François. 

  Ça ne l’avait pas empêchée d’adorer son mari mais elle se souvenait parfois qu’elle rêvait, jeune, de passer ses soirées au cinéma, de courir les expos… Jean-François, touché par cette femme que le chagrin n’avait pas privée d’humour mais qui semblait avoir besoin d’un peu d’aide, lui avait dit qu’il n’était jamais trop tard et qu’il serait ravi de lui faire découvrir à l’occasion quelques perles de sa collection de films. 

  Il n’avait pas tardé à l’appeler et avait aussi invité Max, qui avait tendance à se renfermer. Un quart d’heure de marche ne ferait pas de mal à sa jambe qui avait besoin d’exercice et un vieux film lui rappellerait l’époque où, adolescents, ils ne rataient pour ainsi dire jamais la diffusion, sur l’une ou l’autre chaîne de télévision, de classiques ou de raretés du cinéma. Ils étaient à bonne école : le père de Jean-François nourrissait une passion quasi exclusive pour le cinéma et se réjouissait de la partager avec son fils et le meilleur ami de celui-ci. 

  Ce soir-là, Jean-François proposa de découvrir un film de 1934 qu’il venait de recevoir des États-Unis, Thirty-Day Princess, dont le scénario avait été écrit par Preston Sturges et qui permettait de voir Cary Grant avant The Awful Truth, avant Bringing up Baby et Holiday, bref, avant que se précise et se fixe le personnage qu’il allait incarner avec une classe légendaire pendant près de trente ans. Jean-François demanda à Max et à Marie-Louise s’ils connaissaient sa réponse célèbre à un journaliste qui lui avait fait remarquer qu’il était un modèle unanimement reconnu : « C’est vrai, tout le monde voudrait être Cary Grant. Même moi. »
  À la fin du film, sans qu’ils le sachent, Jean-François, Max et Marie-Louise venaient de vivre, au milieu de l’année 2006, la première séance du ciné-club. Il faudrait deux années et un certain nombre de séances improvisées avant que la chose devienne réelle et régulière, mais le premier pas était fait. 
  Et Archibald Alexander Leach, mieux connu sous le nom de Cary Grant, avait conquis le cœur de Marie-Louise. Certes, elle l’avait déjà vu dans quelques films – elle se souvenait de Charade (avec Audrey Hepburn qu’elle trouvait si ravissante) et de La mort aux trousses – mais ce furent ce jour-là, grâce à laPrincesse par intérim, non des retrouvailles mais une authentique rencontre, avec ce qu’il faut de candeur et d’émerveillement. Comme le fit remarquer Max par la suite, Cary Grant avait sauvé Marie-Louise, qui, au lieu de tourner en rond, se mit à la recherche, avec l’aide précieuse de Jean-François, de tous ses films et de tous les livres parlant de lui. Peu requis par sa fille qui, ayant hérité de son goût pour la langue anglaise et pour le cinéma, faisait des études de traductrice avec l’intention de devenir sous-titreuse de films, et paisible dans son travail de professeur et de responsable du département d’anglais d’une école de traduction et d’interprétariat, Jean-François avait été heureux d’offrir un peu de temps et d’attention à sa voisine. 

  Suite à son divorce, deux ans plutôt, d’avec sa seconde épouse – une comédienne dont il avait été incroyablement amoureux mais à qui il avait renoncé à expliquer que ni la beauté ni le talent ne résistent longtemps à l’action combinée de l’alcool et des tranquillisants –, Jean-François avait traversé discrètement mais très douloureusement plusieurs mois de crise. Il s’en était sorti en donnant un deuxième souffle à sa passion pour le cinéma, grandement aidé en cela par le développement d’Internet. Les plates-formes anglaise et américaine d’Amazon lui avaient permis de découvrir de nombreux marchands qui possédaient des trésors et de mettre la main, à des prix très légers, sur des films et des livres jusque-là introuvables. 
  Alors que d’autres attendent l’amour, Jean-François attendait le facteur. Les commandes mettaient parfois trois ou quatre jours à lui parvenir, parfois un mois ou davantage. Mais elles arrivaient et Jean-François regardait le soir même quelques extraits du film déposé dans sa boîte aux lettres par l’homme ou la dame des postes, avant de le ranger dans la série des films à découvrir ou à revoir d’urgence, à côté du Lieutenant souriant de Lubitsch, ou un peu plus tard, entre le David Copperfield de George Cukor et la version restaurée des Grandes Espérances de David Lean. 

  L’opération Cary Grant occupa bientôt une large part des loisirs de Marie-Louise. Ayant découvert qu’une partie non négligeable de l’abondante filmographie de son idole n’était pas disponible avec des sous-titres français, elle décida de prendre des cours d’anglais. Jean-François lui recommanda une femme qui n’était pas enseignante mais qui était authentiquement Anglaise et qui accepterait peut-être de l’aider. Elle s’appelait Kate. Jean-François l’invita un soir pour qu’elles fassent connaissance. Il invita aussi Max, qu’elle avait consulté à deux ou trois reprises à l’époque où elle avait commencé à changer de vie et avec qui elle était restée en contact. Jean-François avait-il dit à Max qu’il avait eu une brève aventure avec Kate, qu’il avait rencontrée chez lui lors d’une soirée ? Oui, il s’en souvenait, ils en avaient parlé : Max n’avait pas été étonné par ce qu’il lui avait révélé, à savoir qu’il y avait une deuxième Kate qui, dans l’intimité, pouvait se mettre soudain à sourire, d’un sourire incroyable qui la transfigurait totalement et qui faisait d’elle, pour quelques instants fugaces, une femme d’une beauté fascinante, avant qu’elle redevienne une grande Anglaise mince et pâle aux cheveux clairs, perdue dans ses pensées et dans un pull toujours trop large.
  Ce soir-là, en regardant The Bishop’s Wife – dans lequel Cary Grant était aussi séduisant qu’énigmatique en ange envoyé sur terre pour prêter main-forte à David Niven, évêque anglican qui préférait les plans d’une cathédrale aux charmes de son épouse –, Marie-Louise trouva un professeur d’anglais qui allait devenir une amie. Et le futur ciné-club compta un quatrième membre. 

dimanche 19 août 2012

La Grèce n'est pas morte !


Non, la Grèce n’est pas morte !




par  Jean-Claude Villain, écrivain
Il y a quelques semaines, en large titre de pleine page d’un grand quotidien français, on pouvait lire cet avis de décès stupéfiant : « La Grèce est morte ». Déjà énoncé en 1956 par Cornélius Castoriadis, le thème de la mort de la Grèce est aujourd’hui repris par de nombreux intellectuels et notamment par un écrivain grec contemporain majeur : Dimitris Dimitriadis. Tel constat, aussi absolument désespéré, n’est pas un des
Île de Lefkade ; falaise d'où Sappho s'est jetée il y a 2600 ans. (Photo JCV)
moindres signes du désarroi politique, matériel et moral qui a envahi ce pays. Faut-il pour autant l’accepter fatalement, enregistrer cette nouvelle sans plus de doute ni d’examen ? Partant pour plusieurs semaines en Grèce continentale et insulaire, la parcourant du sud au nord, d’est en ouest, je m’attendais à constater tristement l’incroyable fin de ce pays et du mythe qu’il porte, à assister en témoin à son enterrement, et en vieil ami à prendre ma part du deuil.
Certes dans les villes, à Athènes surtout, la misère matérielle et morale est immédiatement perceptible, et pas seulement parce que de nombreux migrants, dont beaucoup d’enfants, y errent et mendient : des signes sont là, irréfutables, qui témoignent de la réalité pesante de la crise, de son étendue et de sa profondeur. Celle-ci n’est plus la matière abstraite d’une phraséologie redondante ayant envahi les médias et les cerveaux occidentaux, car sur place cela se voit, se sent, se dit : les Grecs en majorité, vivent plus mal, inquiets et pessimistes.
Pourtant, au-delà du constat des causes qui ont depuis des décennies affaibli la Grèce (clientélisme et corruption des deux principaux partis politiques alternativement au pouvoir, affaissement des vertus populaires traditionnelles, emprise d’un libéralisme aux méthodes sauvagement prédatrices, inefficience de certains services publics, féodalités économiques persistantes, chômage croissant, exil des jeunes), je voudrais ouvrir une brèche d’espoir en rappelant les incomparables forces résiduelles dont dispose ce pays, aptes à stimuler une vision moins désespérée de son présent et de son avenir. Car c’est avant tout d’un espoir mobilisateur dont ce pays a besoin afin de se libérer des pronostics et des pressions qui l’accablent. Au creux même de la dépression, il lui faut mobiliser une foi en lui-même, en son identité singulière, les leçons de son histoire et la vitalité de ses racines, par là susciter un élan apte à répondre, comme René Char a pu le suggérer en des temps également dramatiques, « à chaque effondrement des preuves (…) par une salve d’avenir ».
Comme dans la plupart des pays du monde, les villes grecques concentrent la majorité de la population nationale et tendent à faire oublier « l’autre Grèce » qui ne perçoit ni ne vit la crise de la même façon. Il suffit de s’éloigner des villes, de parcourir les très nombreuses portions sauvages des milliers de kilomètres du littoral grec, préservé, contrairement à d’autres côtes méditerranéennes, de l’inflation anarchique d’immeubles qui les ont définitivement défigurées et dépoétisées, de parcourir les campagnes couvertes d’oliviers, d’arbres fruitiers, de vignes, où s’épandent troupeaux de chèvres et ruchers, de s’attarder dans les villages dont la silhouette évolue lentement, pour retrouver un art de vivre peu perturbé par la crise, sachant entretenir et promouvoir des réflexes de production, d’autonomie et de solidarité. Celui-ci permet une bénéfique mise à distance, à la fois psychologique et concrète, de la problématique de crise qui obsède les populations européennes. Il peut paraître naïf d’opposer ainsi la relative quiétude du monde campagnard et insulaire grec, protégé par sa perpétuation des modes de vie traditionnels, au mal-vivre croissant des citadins, plus directement exposés, de vanter les atouts d’un environnement naturel et d’une forme de vie qualitativement axée sur la jouissance de biens premiers, essentiels, par opposition à l’enfoncement de populations entières dans la solitude, la misère et le désespoir. Mais en Grèce cette opposition est moins simpliste et moins grande qu’il n’y paraît car malgré le caractère tentaculaire de la mégalopole athénienne et de sa banlieue sud-ouest industrielle, malgré les villes de diverses tailles du pays, le citadin grec est rarement coupé du pays profond qui lui sert de véritable base de ressources, psychologiques et matérielles, affectives et poétiques. Beaucoup de citadins grecs disposent en effet, à la campagne ou sur une île, d’une maison –souvent de famille- d’où eux-mêmes et sinon des proches rapportent et partagent olives, huile, légumes, fruits, confitures, miel, fromages, pain, vin, ouzo, raki. Ces denrées garantissent bien plus qu’une part savoureuse de la subsistance alimentaire : un lien affectif et traditionnel apte à nourrir la force mentale, affective et poétique par laquelle nombre de Grecs semblent mieux résister à l’angoisse et la disette générées par la crise que ne le laissent imaginer les informations accessibles en France. La solidarité familiale traditionnelle, maintenue très forte, contribue sur les plans matériel, psychologique et affectif, à cette résistance. Ainsi, à partager quelques semaines la vie de ce peuple, ce qui ressort est la perpétuation de ses atouts psychologiques et culturels essentiels par lesquels, sans tomber dans des clichés de propagande touristique, un certain art de vivre reste bien vivant, et par là salvateur. Les terrasses des cafés et les tavernes sont majoritairement fréquentées par des Grecs qui, affichant cette tranquille lenteur qui subsiste malgré tout, continuent à aimer plus que d’autres, le partage d’un verre ou d’un plat à l’air et au soleil, à tirer des chaises dans la rue pour une conversation. De ce pays riche de vastes espaces sauvages dont la beauté stupéfiante reste inchangée il faut donc –et de beaucoup- corriger la lecture, essentiellement médiatique, qu’inspire la seule référence urbaine, (c’est-à-dire concentrationnaire) et prendre en compte le lien racinaire entretenu par chaque Grec avec des modes de vie séculaires où dans des territoires à faible densité humaine mais aux richesses naturelles intactes, il entretient un rapport mythique à l’espace et au temps. Ceci n’est malheureusement ni apparent dans les reportages télévisés, ni valorisé par les clientélismes politiques, lesquels semblent plutôt s’acharner à favoriser par la répétition de la peur de l’avenir, un populisme réactionnel tenté par les extrêmes.
Non seulement riche d’une géographie et d’une sociologie singulières ce pays mythique est également porté par une histoire qui l’irrigue encore, même si parfois elle lui pèse et que, dans l’espoir de se régénérer, il est tenté de la brader. Sans remonter exagérément le temps, ce fut au XIX° siècle la révolte contre l’occupation ottomane et l’indépendance retrouvée. Au XX° siècle la successive résistance au nazisme qui amena la guerre civile, puis à la dictature des colonels. Mais les déterminations de l’histoire moderne ne sauraient éclipser l’influence encore vivante de la période antique. Plutôt que de la liquider une bonne fois pour toute comme le suggère Christos Chryssopoulos dans son roman La destruction du Parthénon, (et avant lui Yorgos Makris) par la métaphore symbolique de la pulvérisation de l’Acropole qui coiffe de façon écrasante la cité-capitale et par là tout le pays, il convient au contraire de prendre en compte le bénéfice psychologique que confère, encore aujourd’hui à la population, la conscience d’être héritière d’un passé prestigieux nourri des génies qui ont hissé ce pays au rang d’une des plus vieilles et des plus hautes civilisations. Cela se remarque de nombreuses façons dans la vie nationale et contribue au sentiment d’unicité, d’unité et de dignité du peuple. Des noms des rues aux prénoms des gens, des mentions abondantes des dieux et des personnages de la mythologie à l’évocation des récits et légendes, joués ou chantés, au théâtre, en musique, en chansons, c’est dans la vie quotidienne de tous les Grecs que s’entretient cette référence, continuée et magnifiée, aux périodes de l’histoire du pays pourvoyeuses d’une grande part de l’honneur –sinon de l’orgueil- national. En cela la Grèce sait –et implicitement le rappelle à tous- qu’elle est certainement le pays le plus originel, et peut-être le plus référenciellement rassembleur de la culture européenne, qu’elle est donc incontournable pour poursuivre la construction politique, économique et culturelle de l’Europe.
Mise à mal par un système économique et bancaire qui l’a dépassée, et sans cependant pouvoir s’exempter de ses propres maux intérieurs, politiques surtout, qui l’ont gravement fragilisée, la Grèce n’est pas seulement le parent pauvre et problématique de l’Union européenne, la brebis galeuse de la zone euro. Elle reste à la fois un pays exceptionnel dont les ressources historiques, géographiques, culturelles, humaines, mythologiques et poétiques sont utiles à tous les Européens, et un peuple, certes aujourd’hui inquiet et tourmenté, stigmatisé quoique victime, mais vaillant et capable de s’arc-bouter une nouvelle fois contre un sort contraire ; un pays qui sait instinctivement qu’il possède les richesses inviolées de sa géographie, de son histoire, de sa singularité anthropologique, et qui en tire sa force latente, capable de résistance et de rebond. Décidément non la Grèce n’a pas à précipiter sa mort, à s’offrir en victime sacrificielle d’une communauté étrangère cherchant à garantir sa survie en faisant d’elle un bouc-émissaire, n’a pas à se renier, ni à céder aux tendances suicidaires auxquelles la porterait la dépression qui l’affecte, à tout feindre d’arranger par sa disparition oblative. Plutôt que de jouer les pleureuses du cortège funèbre, l’œuvre la plus urgente des intellectuels grecs est de revitaliser les forces souterraines intactes du pays qui a besoin d’eux comme d’un chœur moderne, vigile et lancinant. Non la Grèce n’est pas morte, ne peut pas mourir. Et si aujourd’hui l’Europe paraît la soutenir de ses perfusions, c’est en réalité, au plus profond, l’Europe qui a vitalement, et pour toujours, besoin d’elle.
Jean-Claude Villain,
Ecrivain

vendredi 17 août 2012

En lisant Anatole France



Et en vérité l'homme est fait plutôt pour manger des glaces que pour compulser de vieux textes.

jeudi 16 août 2012

Poesia Traduzione di Pina Isopo

Gli capita anche di curare lo scorbuto
che punisce i marinai per essere andati così lontano
dagli alberi di limone, dalle piante di ribes nero e dagli olivelli spinosi
Però non ha fatto niente per questo corpo che perde colpi                        
Gli capita perfino di misurare gli abissi
e di calcolare quanto tempo mette un’arancia
a cadere da Venere in una mano affamata                                              
eppure non ha misurato la profondità del supplizio
Capita all’amore di prevedere tutto
ma non ha fatto anticipazioni su una sola delle mie parole
Jalel El Gharbi traduzione di Pina Isopo

mardi 14 août 2012

Poème

Il lui arrive même de soigner le scorbut
Qui punit les marins d’être allés si loin
Des citronniers, des cassis et des argousiers
Or il n’a rien fait pour ce corps qui s’essouffle
Il lui arrive même de mesurer les abysses
Et de calculer combien de temps met une orange
Pour tomber de Vénus dans une main affamée
Cependant il n’a pas mesuré la profondeur du supplice
Il arrive à l’amour de tout prévoir
Pourtant il n’a pas anticipé sur un seul de mes mots

Jalel El Gharbi

lundi 13 août 2012